[-empyre-] Some environmental links and a review of FR homage



Dear all
 
Sorry but French

a review of some FR articles (Waiting the next folder in Nouvel
Observateur). 

More any environemental links that I have founded to answer to Idc.

Henri Lefebvre on the Situationist International
Interview conducted and translated 1983 by Kristin Ross
Printed in October 79, Winter 1997
http://www.notbored.org/lefebvre-interview.html

But don't you know probably this link?

I was just telling me that may be "the complot of art" by Jean was a cold
remind about the hot praxis of the overtaking of the art at the
Situationnists of Strasbourg (where Lefebvre was a Professor since 1962
before he came Professor at Nanterre), a book:


 
Sorry but French


 Titre :       L'Irruption De Nanterre Au Sommet
    Auteur :     Henri Lefebvre
    Editeur :     Editions Anthropos Paris
    Genre :     Nanterre Socio Politique RÃvolution
    Date de parution :     1968
    RÃfÃrence :     7103-184
http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/ANCIEN/product/henri-lefebvre/l-irruptio
n-de-nanterre-au-sommet,7103-184.aspx?donnee_appel=123N_TITRE


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FR
Lefebvre et l'activisme marxiste
Recension de Critique of Everyday Life. Volume III. (1981)
http://www.ihtp.cnrs.fr/Trebitsch/pref_lefebvre3_MT.html

Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life. Volume I. Introduction,
traduction anglaise, Londres, Verso, 1991, p. IX-XXVIII.
http://www.ihtp.cnrs.fr/Trebitsch/pref_lefebvre1_MT.html

EN
Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life, Volume 1 (1947; 2nd ed. 1958),
translated by John Moore, Verso, London, 1991, Å29.95 hb; Henri Lefebvre,
The Production of Space (1974), translated by Donald Nicholson-Smith, Basil
Blackwell, Oxford, 1991, Å14.95 pb.
http://www.radicalphilosophy.com/default.asp?channel_id=2191&editorial_id=98
38

Critique of Everyday Life (more review)
http://www.frontlist.com/detail/1859846505

Henri Lefebvre's The Production of Space
http://www.notbored.org/space.html


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Best,

Aliette

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LIBERATION
    
    * Les cibles de Baudrillard dans ÂLibÃrationÂ
Baudrillard's all abstracts of his articles in Liberation
http://www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement2/239266.FR.php

    * Editorial
    * Jean Baudrillard au-delà du rÃel


ActualitÃ
Editorial
http://www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement2/239274.FR.php

AllÃgresse
Par GÃrard DUPUY

QUOTIDIEN : mercredi 7 mars 2007

    ÂLa guerre du Golfe n'a pas eu lieuÂ, a-t-il eu le culot d'Ãcrire quand
tous les tÃlÃspectateurs avaient encore dans les yeux l'imposante
mobilisation militaire de TempÃte du dÃsert et dans les oreilles les
proclamations de victoire amÃricaine. L'homme qui Ãcrivait cela ne pouvait
Ãtre qu'un fou ou un provocateur. Mais Baudrillard n'Ãtait ni l'un ni
l'autre. Il avait toute sa raison et avait dÃbusquà depuis longtemps dans
l'attitude provocatrice le dernier refuge de l'esprit de sÃrieux, toujours
un peu solidaire de ce qu'il dÃnonce. Son dÃdain pour la sociÃtà telle qu'il
l'avait vue Ãvoluer lui interdisait l'attitude de l'imprÃcateur, malgrà la
virulence de ses critiques. Il Ãtait restà trop nietzschÃen pour avoir
oublià qu'il n'est pas plus menteur que l'homme indignÃ. S'il ne tenait pas
à la mÃtaphysique de la vÃrità  d'oà ses rÃflexions sur le simulacre ou les
clones Â, il n'aimait pas mentir ou qu'on mente ni, surtout peut-Ãtre, qu'on
se mente.
    
    ÂPataphysicien à 20 ans ; situationniste à 30 ; utopiste à 40 ans ;
transversal à 50 ; viral et mÃtaleptique à 60Â, ainsi rÃsumait-il son
Ãvolution. Ce qui est presque un cercle parfait  donc vicieux au regard de
la vertu. Le discours du bien Ãtait d'ailleurs celui dont il pensait le plus
de mal. De fait, dans le dernier quart de siÃcle, Baudrillard a retrouvà une
sorte d'allÃgresse sarcastique proche des pulsions de Jarry. Toutefois, il
s'est tenu essentiellement sur le terrain de l'analyse conceptuelle de la
rÃalitÃ, ou plutÃt de ce qu'il appelait la disparition de la rÃalitÃ,
hypothÃse dure auprÃs de laquelle la fin des idÃologies ou celle de
l'histoire font figure de bluettes timides. Bien sÃr, tout le monde vit dans
la rÃalitÃ, quitte à dÃplorer à grands cris son inexplicable perte de
substance. Baudrillard ne dÃplorait pas, mais il dÃcrivait cette antimatiÃre
dont sont tapissÃs nos petits rÃves et nos grands cauchemars.
Le paradoxe de Baudrillard est d'avoir fait la plus brillante critique des
impasses de la critique.

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Culture
Disparition

Jean Baudrillard au-delà du rÃel

Le sexe, le langage, les signes, la marchandise, la guerre ... Rien n'a
Ãchappà aux analyses paradoxales du sociologue, mort hier à 77 ans.
Par Robert MAGGIORI

QUOTIDIEN : mercredi 7 mars 2007

    Jean Baudrillard, c'Ãtait la curiosità mÃme. Il ne ratait rien, pas un
livre, pas un article, pas un geste, pas un paysage, une exposition, un
film, une expression sur un visage, une posture, un habit, un foulard, un
logo, une ombre, un Ãcran de tÃlÃvision, un bec de gaz, le macadam mouillÃ
par la pluie, une piÃce de thÃÃtre ( Camille Claudel, jouÃe par Charles
Gonzales au Lucernaire lui donnera la plus grande Ãmotion de sa vie), un
conflit politique, une guerre. Il semblait errer, vagabonder d'un pas
nonchalant, effleurer du regard toute chose, et toujours prÃt à sourire de
tout, bonhomme.
    En rÃalitÃ, il fixait les choses. Comme on fixe parfois ces images
curieuses, de formes gÃomÃtriques entremÃlÃes, qui soudain laissent voir
autre chose  un monstre, deux corps enlacÃs, la barbe de Freud...  que ce
qu'elles Ãtaient censÃes donner à voir. Il pensait que la thÃorie Âne peut
Ãtre que cela : un piÃge tendu dans l'espoir que la rÃalità sera assez naÃve
pour s'y laisser prendreÂ. Aussi en plaÃait-il partout, des ÂpiÃgesÂ. Mais,
en attendant que la rÃalità vienne s'y faire capturer, et se traduise en
ÂprisesÂ, en concepts, il se servait de ses yeux, de ses mains, de ses
oreilles, pour tenter de prendre, voir ou entendre ce qui fuit sans cesse,
ÃphÃmÃre et sidÃrant, ce qui est à peine audible, la cacophonie Âde ce qui
arrive sans ordre ni plan, le brouhaha du monde. ÂIl faut fouiller le
cielÂ, disait-il, comme pour capter cette lumiÃre venue d'astres morts
depuis longtemps, oà ces ÂÃvÃnements tellement lointains, mÃtaphysiquement
lointains qui, Ân'Ãveillant plus qu'une lÃgÃre phosphorescence sur les
ÃcransÂ, doivent Ãtre agrandis comme une photographie pour Ãtre ÂvusÂ, au
risque, Ãvidemment, d'acquÃrir une ÂrÃalitÃÂ qui n'est pas la leur.

    ÂIl faut faire de la thÃorie un crime parfaitÂ

    Jean Baudrillard aura Ãtà le sociologue des ÂÃvÃnements ÃtrangesÂ. Pour
les capter, Âil faut faire de la thÃorie elle-mÃme une chose Ãtrange. Il
faut faire de la thÃorie un crime parfait, ou un attracteur ÃtrangeÂ. C'est
ce que Baudrillard a fait, en usant de tous les styles et toutes les formes
d'Ãcriture, du paralogisme au paradoxe, de la parodie à l'aporie, de la
provocation à l'ironie, et en devenant le penseur des missions impossibles Â
y compris en faisant s'autodÃtruire sa pensÃe dÃs qu'elle se systÃmatisait
Â, le vigile, parfois cynique, de la pensÃe vigilante, attentif à capturer
Âla derniÃre lueur qu'envoie la rÃalità avant de disparaÃtreÂ, ou,
reconnaissait-il, le tenant d'une Âanalyse irrÃaliste des ÃvÃnements
irrÃelsÂ. 
    Germaniste de formation, la sociologie de Jean Baudrillard  il riait,
lorsqu'on Ãvoquait Âsa sociologie  s'est donc caractÃrisÃe par une
incroyable, et dÃroutante, inventivitÃ, et la crÃation de concepts qui,
pourrait-on dire, courent aprÃs des faits sociaux devenus fluides, liquides,
insaisissables, plus rÃels que rÃels dans leur irrÃalitÃ, plus fictifs que
fictifs dans leur rÃalitÃ. C'est pourquoi on reconnaÃt tout de suite que
l'on se trouve Âchez Baudrillard : un monde peuplà de simulacres, de
supraconducteurs, de stratÃgies fatales, de surfusions, de virus, de
prolifÃrations et de contagions, de Âterminaux interactifsÂ, et, justement,
d'attracteurs Ãtranges.

    Etudes sur la sociÃtà de consommation

    Ses premiers livres, auquel il est restà fidÃle en esprit, Ãtaient à des
annÃes-lumiÃre de tout cela : Ã la lumiÃre du structuralisme et de la
sÃmiologie, ils s'attachaient à rÃviser la thÃorie marxienne des besoins,
comme le faisait en Hongrie AgnÃs Heller. Par la suite, toute sa production
fera date. Ses Ãtudes de la sociÃtà de consommation, des nouveaux mythes de
la communication et du systÃme des objets à l'Ãre de la domination de la
haute technologie sont des Âclassiques : le SystÃme des objets (1968), la
SociÃtà de consommation (1970), Pour une critique de l'Ãconomie politique du
signe (1972), le Miroir de la production (1973)... L'influence de Roland
Barthes, de Henri Lefebvre, de Guy Debord est assez sensible à cette Ãpoque.
Mais peu à peu Baudrillard devient Baudrillard, figure unique du paysage
intellectuel, qui s'intÃresse essentiellement aux reprÃsentations, et, avec
un de ses ouvrages majeurs, l'Echange symbolique et la mort (1976), montre
le fonctionnement des systÃmes d'Ãchanges symboliques (ou de fin des
Ãchanges) dans les sociÃtÃs dÃveloppÃes. DÃs lors, tout, tous les phÃnomÃnes
culturels, politiques, sociaux, esthÃtiques de la sociÃtà moderne puis
postmoderne, s'ouvriront à sa rÃflexion.

    ÂL'objet n'est plus ce qu'il ÃtaitÂ

    Ce que Baudrillard entrevoit, avant tout le monde, c'est la ÂrÃvision
dÃchirante que subissent et le principe de rÃalità et le principe de
connaissance. ÂL'objet n'est plus ce qu'il ÃtaitÂ, voilÃ, sous une formule
sibylline, ce dont il faut rendre compte, avec la conscience de ne pas
pouvoir en rendre compte. L'objet se dÃrobe dans tous les domaines et
Ân'apparaÃt plus que sous forme de traces ÃphÃmÃres sur des Ãcrans de
virtualisationÂ. Normalement, un ÂobjetÂ, tel que la pensÃe traditionnelle
le pensait, est susceptible de poser devant lui un Âsujet ; est capable de
s'inventer un dispositif qui l'Ãquilibre, de valeur et d'Ãchange, de
casualità et de finalità ; est capable de jouer sur Âdes oppositions rÃglÃes
: celles du bien et du mal, du vrai et du faux, du signe et de son
rÃfÃrentÂ. Or rien de tout cela ne correspond plus à Âl'Ãtat de notre
mondeÂ, qui n'est mÃme plus en crise  laquelle suppose son lot de tensions
et de contradictions faisant tout compte fait fonctionner le systÃme Â, mais
est en proie à un Âprocessus catastrophique de dÃrÃglement de toutes les
rÃgles.
    De là vient que les phÃnomÃnes  le rÃel et le fictif, par exemple Â, au
lieu de s'exclure s'ils sont contradictoires, de se complÃter le cas
ÃchÃant, de s'adapter ou de se vÃrifier mutuellement, bref de Âs'ÃchangerÂ,
selon les rÃgles de la diffÃrence et du diffÃrentiel, selon ce que l'un ou
l'autre n'a pas, finissent l'un et l'autre par devenir ÂparadoxauxÂ. Par
entrer dans une phase de dÃrive exponentielle, et donc par se grever
alÃatoirement de ÂsensÂ, de la mÃme maniÃre qu'un signe, n'ayant plus
d'Ãchanges avec la rÃalità qu'il signifie, enfle, s'hypertrophie, prolifÃre,
dÃrange tous les ordres, se multiplie tout seul en mÃtastases, jusqu'Ã tout
signifier, ou rien. Tout alors est frappà par une sorte de Âprincipe
d'incertitudeÂ, la vÃritÃ, le travail, l'information, la richesse sociale,
le sexe, le langage, la mÃmoire, le rÃcit historique, l'oeuvre d'art,
l'Autre, la culture, la reprÃsentation, l'ÃvÃnement lui-mÃme, entre tout et
tout, on a essayà d'Ãtablir des Ãquivalences artificielles, en n'arrivant,
en fait, qu'Ã ajouter d'autres simulacres, des couches factices de sens, de
l'hyper, du cyber, des prothÃses...

    Son dÃsir de ne rien rater de la vie

    Tout bouge et rien ne s'Ãchange. L'imposture et l'illusion deviennent
plus vraies, le rÃel disparaÃt sous l'hyperrÃalitÃ... Les thÃses paradoxales
de Jean Baudrillard  y compris lorsqu'elles appelaient à Oublier Foucaul t
 ont choquÃ, agacÃ, amusÃ, interloquÃ. Elles avaient une vertu cependant
(si on ne veut pas parler des vertus de Baudrillard, sa dignità à sortir de
la misÃre dans laquelle il Ãtait, à l'Ãpoque oà il vivait dans une tour du
XIIIe arrondissement, sa gentillesse, sa disponibilitÃ, sa curiositÃ, son
dÃsir de ne rien rater de la vie, et surtout pas les omelettes aux cÃpes !),
que nul n'a jamais niÃe : quel que soit le sujet abordÃ, Jean Baudrillard
disait toujours quelque chose que personne n'avait jamais dit. Il Ãtait
obsÃdÃ, il est vrai, par une question Ãtrange : que faire quand les
ÃvÃnements dÃpassent la vitesse du sens ?



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NOUVEL OBSERVATEUR


 
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/culture/20070307.OBS5728/les_react
ions.html
Les rÃactions

NOUVELOBS.COM | 07.03.2007 | 18:00


Voici les premiÃres rÃactions à la mort de Jean Baudrillard, mardi 6 mars:

    Edgar Morin, 
    sociologue et philosophe, ami de Jean Baudrillard :
"Nous Ãtions liÃs par une amitià profonde, physique. Nous avions d'ailleurs
beaucoup voyagà ensemble, au Mexique, au BrÃsilâ A coup de margaritas et de
caipirinhas, nous Ãtions devenus trÃs intimes.
Quand il a Ãcrit son premier livre, "Le systÃme des objets", je lui avais
livrà mes impressions: "C'est gÃnial et dÃlirant !", lui avais-je Ãcrit.
J'ignore s'il y a Ãtà sensible, mais ces deux qualificatifs s'appliquent Ã
tous ses autres ouvrages. Il avait une vision qui dÃcape, vous stimule, vous
rÃveille et ne peut pas laisser indiffÃrent. Il vous oblige à repenser.
C'est un des esprits les plus fÃconds de sa gÃnÃration et de son Ãpoque.
Prenons son livre sur la sociÃtà de consommation par exemple. Il dÃnonÃait
effectivement cette Ãvolution, mais surtout, il portait un regard sur la
rÃalità de nos vies. Celles-ci sont de plus en plus imaginaires parce
qu'elles sont envahies par les mÃdias, les ordinateurs qui crÃent une
rÃalità virtuelle.
    Dans ses journaux, comme "Cool Memories" par exemple, Jean Baudrillard a
dÃmontrà qu'il avait aussi un grand sens de l'observation. Il Ãtait à la
fois sociologue, philosophe, Ãcrivain et penseur. Son esprit critique Ãtait
diffÃrent de l'esprit critique marxiste. Mais ce n'Ãtait pas un esprit
dÃsabusÃ. C'Ãtait plutÃt un pÃre tranquille, un homme serein. Il sentait
d'ailleurs qu'il Ãtait atteint d'un mal inguÃrissable, mais voyait cette
maladie avec une grande sÃrÃnità et grandeur d'Ãme. Il scandalisait mais
sans le vouloir. En fait, il disait avec innocence ce qu'il ressentait. Sur
la tragÃdie du World Trade Center par exemple il avait osà dire "Ce que
c'est beau !" Car il voyait dans ce drame un cÃtà estÃthique, celui d'un
building en flammes. Il n'avait pas peur de dire ce qu'il pensait, avec un
air de dÃfi. En ce sens, il Ãtait un esprit totalement indÃpendant, hors du
monde des vanitÃs universitaires, qui n'a jamais sombrà dans aucun carcan
conformiste. Voilà pourquoi je le considÃre, en plus de ses qualitÃs
humaines, comme un penseur auquel il faut se reporter".
(DÃclaration à nouvelobs.com, mercredi 7 mars)

    Michel Wieviorka,
    sociologue : 
"C'Ãtait un personnage assez inclassable. Compte tenu de l'Ãvolution des
disciplines, il est peu probable qu'il ait le moindre successeur. C'Ãtait
aussi un personnage d'une intelligence fulgurante, qui avait le sens de la
formule et des grands problÃmes contemporains. Ses points de vue Ãtaient
toujours Ãtonnants. J'Ãtais rarement d'accord avec lui mais c'Ãtait toujours
pour moi un grand bonheur de le lire. Ses premiers ouvrages, notamment "Le
systÃme des objets" ou "La sociÃtà de consommation", m'ont d'ailleurs
fortement marquÃ.
    C'Ãtait aussi un homme de paradoxe. Pour ne citer qu'un exemple, il
avait dÃtournà une citation de Clausewitz sur la guerre - "La guerre, c'est
le prolongement de la politique par d'autres moyens", disait cet officier
prussien du XIXe siÃcle - en dÃclarant, Ã propos de l'intervention des
Etats-Unis en Irak : "La guerre, c'est le prolongement de l'absence de la
politique par d'autres moyens".
    Aux Etats-Unis justement, Jean Baudrillard avait encore plus d'impact
qu'en France. Les bibliothÃques des universitÃs amÃricaines sont toujours
remplies de piles de ses livres.
    Plus qu'une Åuvre, Jean Baudrillard laissera surtout une posture, une
maniÃre d'aborder les questions. Ce n'Ãtait pas un chercheur classique,
c'Ãtait quelqu'un qui rÃflÃchissait, un essayiste plutÃt qu'un analyste. Ce
que je retiendrai surtout de lui, c'est cette idÃe d'une intelligence en
mouvement, un esprit provocateur, dans le sens oà il provoquait la
rÃflexion, chez moi en tout cas. Je fais partie de ceux qui ont ÃtÃ
littÃralement bluffÃs par son livre sur la premiÃre Guerre du Golfe, "La
Guerre du Golfe n'a pas eu lieu", publià en 1991. Sur le moment, cet ouvrage
avait fait scandale. Mais aujourd'hui, au regard de la deuxiÃme guerre du
Golfe en Irak, qui, elle, est marquÃe par le sang et les morts,
contrairement à la premiÃre, on peut se dire qu'il n'avait pas tout à fait
tort..." 
(DÃclaration à nouvelobs.com, mercredi 7 mars)

    FranÃois L'Yvonnet,
    professeur de philosophie, Ãditeur de Jean Baudrillard:
"C'Ãtait trÃs certainement l'un des plus grands penseurs franÃais
contemporains. On a trop souvent tendance à ne retenir que ses Åuvres du
dÃbut, notamment "Le systÃme des objets", "La sociÃtà de consommation", de
style trÃs classiques. Par la suite, il a Ãtà accusà de nihilisme, ce qui
Ãtait totalement infondÃ: pour lui, c'est le systÃme qui est totalitaire. Au
contraire, quand on lit son Åuvre, on est surpris par la cohÃrence de sa
pensÃe, l'intuition qu'il a rÃussi à tenir et à approfondir tout au long des
annÃes. Bien sÃr, il a Ãcrit sur des thÃmes trÃs forts: la mort, le mal, le
terrorismeâ Il a beaucoup choquà au moment du 11-Septembre sous prÃtexte
qu'il ne s'Ãtait pas montrà assez indignÃ. Mais l'analyse d'un phÃnomÃne
oblige à dÃpasser l'Ãmotion. Il Ãtait trÃs loin du moralisme ambiant. Au
final, il nous apprend à lire le monde tel qu'il est, en fournissant des
outils prÃcieux.
    Son public, il est vrai, est limità [!]. A partir des objets, il a remis
en cause la subjectivitÃ, le rÃel. Pris au premier degrÃ, ses positions
surprennent. Mais ceux qui font l'effort de le lire dÃcouvrent un grand
Ãcrivain, un poÃte mÃme, et une pensÃe subtile extrÃmement rigoureuse. Jean
Baudrillard est allà trÃs loin dans sa pensÃe. Mais malheureusement,
beaucoup ne retiennent de lui que ses formules et le fait d'Ãtre
inclassable. En effet, Jean Baudrillard Ãtait tout à la fois et rien en
particulier. Penseur, philosophe, Ãcrivain et poÃte, il n'appartenait
pourtant à aucune tradition, à aucun intelligentsia. Il est restà trÃs
solitaire, ce qui ne l'a pas empÃchà d'avoir un groupe d'amis trÃs fidÃles.
Il laisse aujourd'hui une Åuvre trÃs critique, pÃrenne, une rÃflexion unique
qui est partie de l'analyse des objets. C'est donc un penseur trÃs fort mais
en mÃme temps trÃs difficile qui vient de disparaÃtre. S'il fallait lui
trouver une affiliation, je la rattacherai aux moralistes franÃais: ces
Ãcrivains du XVII ou du XVIIIe siÃcles qui Ãmanaient des pensÃes ciselÃes.
L'important chez Baudrillard en effet, c'Ãtait Ãa, le "fragment", comme le
suggÃrent plusieurs de ses livres".
(DÃclaration, mercredi 7 mars) [!]

    Bernard Lallement,[1]
    essayiste, Ãditeur et critique littÃraire, spÃcialiste de Jean-Paul
Sartre : 
"C'est un des plus grands philosophes franÃais qui vient de mourir, un des
derniers, dans la lignÃe des Sartre, des Aron et de ceux qui ont osÃ
dÃconstruire la rÃalità pour essayer de reconstruire une anthologie.
Aujourd'hui, il n'y en a plus tellement. Peu de personnes ont le courage
d'affirmer encore ce type de position. Sans cette dÃconstruction de la
rÃalitÃ, il n'y aurait jamais eu de Sartre, ni de Aron." (DÃclaration Ã
nouvelobs.com, mercredi 7 mars)

    Paul Virilio, 
philosophe et urbaniste, Ãditeur de Jean Baudrillard :
"Avec la disparition de Jean Baudrillard, câest le grand krach de la
philosophie qui se confirmeâ AprÃs les disparitions rapprochÃes de Derrida,
Lyotard, Lacoue-Labarthe, câest dÃsormais le grand vide. Il y aura toujours
des "intellectuels" mÃdiatiques, mais oà est le renouvellement des
vÃritables penseurs ? Un accident majeur sâest produit sur ce plan. Il nây a
plus dâeffet de groupe, de pensÃe commune, il nây a plus que la solitude. La
position critique de Jean avait fini par faire de lui un homme trÃs
solitaire dâailleurs. CâÃtait aussi quelquâun dâune extraordinaire
gÃnÃrosità â chose suffisamment rare pour Ãtre signalÃe. Depuis 30 ans, il
Ãtait mon auteur dans la collection "lâEspace critique" chez GalilÃe. Câest
autour de Lacan et LefÃvre que je lâai rencontrÃ, il venait de publier "la
SociÃtà de consommation". La dÃfaite du progrÃs, câest Ãa qui nous a
rapprochÃ. LâÃloignement par rapport aux mouvements marxistes qui ont fait
68, aussi. Câest quelquâun que je rapprocherais de Cioran. Mais
contrairement à tout ce qui se raconte, il Ãtait totalement opposà au
nihilisme. Comment ne pas Ãtre dupe de la rÃalitÃ, comment "ne plus y
croire" sans tomber dans le nihilisme ? CâÃtait Ãa, le dÃfi de sa pensÃe".
(DÃclaration au Nouvel Observateur, mercredi 7 mars)

    FranÃois Cusset,
    auteur de "French Theory", spÃcialiste de la vie des idÃes :
"Il nous manquera terriblement dâici le 22 avril 2007. Ce barnum politique
invraisemblable aurait eu besoin de son extrÃme hauteur de vue ironique. Je
mâoppose totalement à lâidÃe quâil soit devenu sur le tard un nihiliste de
droite. Il est toujours restà fidÃle au marxisme sÃmiologique de ses dÃbuts
â et à la pataphysique aussiâ ! â simplement il a radicalisà ses hypothÃses.
Câest Ãvidemment un penseur de tout premier ordre. Au fond, câest lui qui
aura dÃfinitivement mis à mort le platonisme. Sâil nây a plus que du rÃel,
sans aucune transcendance, le rÃel est entiÃrement un simulacre. Dans la
bien-pensance des annÃes 80, il a tellement dÃtonnà quâon lâa fait passer
pour une sorte de rÃactionnaire. Quand la France entiÃre Ãtait foucaldienne,
il publiait "Oublier Foucault", quand la France entiÃre Ãtait
mitterrandienne, il tapait sur Mitterrand, etc. Sa force critique est
demeurÃe jusquâau bout exceptionnelle, que ce soit ses textes sur la Guerre
du Golfe, le 11 septembre, le suicide du capitalisme, ou les Ãmeutes en
banlieue de 2005. Il Ãtait du reste le seul à enchevÃtrer ainsi travail sur
le style et fulgurances thÃoriques. Oui, il nous manquera".
(DÃclaration au Nouvel Observateur, mercredi 7 mars)

    Ali LaÃdi, 
    journaliste et chercheur à l'IRIS, spÃcialiste du terrorisme :
"Quand j'ai appris sa mort, j'ai toute de suite eu envie de relire le texte
qu'il avait publià dans Le Monde au lendemain du 11-Septembre sur le
terrorisme. Il avait Ãtà le seul, à ce moment-lÃ, à prendre le contre-pied
du discours ambiant, basà sur le pathos et l'Ãmotion. Jean Baudrillard avait
rÃussi à dÃpasser cette attitude, qui se rÃsumait à une simple condamnation
du terrorisme, pour essayer d'analyser ce qui s'Ãtait passà d'un point de
vue socio-politique. Il avait Ãtà ÃnormÃment critiquà lÃ-dessus. Beaucoup
ont dit qu'il voulait excuser les terroristes. C'est faux. Quand il Ãvoque
une "intelligence du mal", il sous-entend que les terroristes ne sont pas
des "fous d'Allah", mais qu'ils ont en revanche une vraie rÃflexion, qui se
traduit souvent par un monde virtuel. AprÃs lui, les textes qui ont tentà de
comprendre le terrorisme sur le plan scientifique ont Ãtà trÃs rares. Sans
vouloir restreindre son Åuvre au seul terrorisme, je pense que Jean
Baudrillard aura quand mÃme fortement marquà ce domaine."
(DÃclaration à nouvelobs.com, mercredi 7 mars)

    Gilles de Robien,
    ministre de l'Education nationale, assure "qu'avec lui, nous perdons un
grand crÃateur", "l'une des grandes figures de la pensà sociologique
franÃaise, cÃlÃbre dans le monde entier".
(CommuniquÃ, mardi 6 mars)

    Hommage de Renaud Donnedieu de Vabres,
    ministre de la culture et de la  communication,
[se rÃveille le mardi 13 mars 2007k, Ã l'enterrement;-]
    Ã Jean Baudrillard
Jean Baudrillard sera à jamais lâhomme de lâAvant-garde. LâAvant-garde comme
exploration des territoires de lâau-delà de la modernitÃ. LâAvant-garde
comme combat Ãternel contre la rÃification et lâaliÃnation. LâAvant-garde
comme ultime prise en charge des dominÃs et des subalternes. LâAvant-garde
comme Ãcoute du monde.
    Par-delà le philosophe, je retiendrai particuliÃrement lâessayiste, le
critique, le polÃmiste, le traducteur, mais aussi le photographe. Sublimant
la mÃtaphore de la camera obscura, spectre dÃformant des idÃologies dont il
sut dÃnoncer la plus contemporaine, celle du bonheur, son Åil sut orchestrer
une radicale  disparition du monde Â.
    Marx, Nietzsche, Heidegger. Jarry, Barthes, Debord. Ce furent ces
torches Ãblouissantes que ce PromÃthÃe des promontoires nous a jetà au
visage pour nous tirer de lâobscuritÃ, de lâignorance et de la froidure de
la modernitÃ. Et nos yeux sont encore tout ÃcarquillÃs de ce passage de
lâombre à la lumiÃre. Ce flash brutal a dilatà nos pupilles et dessillÃs nos
yeux sur la sociÃtà de consommation, le 11 septembre, ou lâemprise des
mÃdias.
    Et à lâheure oÃ, avec son absence, la nuit retombe sur nous lentement,
oà le crÃpuscule nous enveloppe de nouveau, nous reviennent les fameuses
derniÃres paroles de Goethe : Â Mehr Licht Â.
    Nous nâoublierons jamais Jean Baudrillard.

    Epilogue sur place :
"J'aurais bien voulu parler avec Jean Baudrillard.. Maintenant il me reste Ã
le lire." [sic - trÃs triste;-]



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* Bernard Lallement, 58 ans, [jeune ami maoiste de Jean-Paul Sartre il fonde
avec lui et le non moins maoiste Serge July le journal de "front commun"
LibÃration en 1972) is died the day of Jean's Funerals on March 13th. The
same day of the police agreement between China and France, just as he was
currently finishing his next book :'The litle black book of China"  (next
out at ed. du Cherche midi, Paris).

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/medias/20070320.OBS8101/bernard_la
llement_est_mort.html?idfx=RSS_notr

His blog
http://sartre.blogspirit.com/

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MONDE DIPLOMATIQUE

http://www.monde-diplomatique.fr/2002/11/BAUDRILLARD/17041

Jean Baudrillard (2002)


    DE LâANTITERRORISME Ã LA GUERRE
    La violence de la mondialisation

Y a-t-il une fatalità de la mondialisation ? Toutes les cultures autres que
la nÃtre Ãchappaient de quelque faÃon à la fatalità de lâÃchange
indiffÃrent. Oà est le seuil critique de passage à lâuniversel, puis au
mondial ? Quel est ce vertige qui pousse le monde à lâabstraction de lâIdÃe,
et cet autre vertige qui pousse à la rÃalisation inconditionnelle de
lâIdÃeÂ?

Car lâuniversel Ãtait une IdÃe. Lorsquâelle se rÃalise dans le mondial, elle
se suicide comme IdÃe, comme fin idÃale. Lâhumain devenu seule instance de
rÃfÃrence, lâhumanità immanente à elle-mÃme ayant occupà la place vide du
Dieu mort, lâhumain rÃgne seul dÃsormais, mais il nâa plus de raison finale.
Nâayant plus dâennemi, il le gÃnÃre de lâintÃrieur, et sÃcrÃte toutes sortes
de mÃtastases inhumaines.

De là cette violence du mondial - violence dâun systÃme qui traque toute
forme de nÃgativitÃ, de singularitÃ, y compris cette forme ultime de
singularità quâest la mort elle-mÃme - violence dâune sociÃtà oà nous sommes
virtuellement interdits de conflit, interdits de mort - violence qui met fin
en quelque sorte à la violence elle-mÃme, et qui travaille à mettre en place
un monde affranchi de tout ordre naturel, que ce soit celui du corps, du
sexe, de la naissance ou de la mort. Plus que de violence, il faudrait
parler de virulence. Cette violence est virale : elle opÃre par contagion,
par rÃaction en chaÃne, et elle dÃtruit peu à peu toutes nos immunitÃs et
notre capacità de rÃsistance.

Cependant, les jeux ne sont pas faits, et la mondialisation nâa pas gagnÃ
dâavance. Face à cette puissance homogÃnÃisante et dissolvante, on voit se
lever partout des forces hÃtÃrogÃnes - pas seulement diffÃrentes, mais
antagonistes. DerriÃre les rÃsistances de plus en plus vives à la
mondialisation, rÃsistances sociales et politiques, il faut voir plus quâun
refus archaÃque : une sorte de rÃvisionnisme dÃchirant quant aux acquis de
la modernità et du  progrÃs Â, de rejet non seulement de la technostructure
mondiale, mais de la structure mentale dâÃquivalence de toutes les cultures.
Cette rÃsurgence peut prendre des aspects violents, anomaliques,
irrationnels au regard de notre pensÃe ÃclairÃe - des formes collectives
ethniques, religieuses, linguistiques -, mais aussi des formes individuelles
caractÃrielles ou nÃvrotiques. Ce serait une erreur que de condamner ces
sursauts comme populistes, archaÃques, voire terroristes. Tout ce qui fait
ÃvÃnement aujourdâhui le fait contre cette universalità abstraite - y
compris lâantagonisme de lâislam aux valeurs occidentales (câest parce quâil
en est la contestation la plus vÃhÃmente quâil est aujourdâhui lâennemi
numÃro un).

Qui peut faire Ãchec au systÃme mondial ? Certainement pas le mouvement de
lâantimondialisation, qui nâa pour objectif que de freiner la dÃrÃgulation.
Lâimpact politique peut Ãtre considÃrable, lâimpact symbolique est nul.
Cette violence-là est encore une sorte de pÃripÃtie interne que le systÃme
peut surmonter tout en restant maÃtre du jeu.

Ce qui peut faire Ãchec au systÃme, ce ne sont pas des alternatives
positives, ce sont des singularitÃs. Or, celles-ci ne sont ni positives ni
nÃgatives. Elles ne sont pas une alternative, elles sont dâun autre ordre.
Elles nâobÃissent plus à un jugement de valeur ni à un principe de rÃalitÃ
politique. Elles peuvent donc Ãtre le meilleur ou le pire. On ne peut donc
les fÃdÃrer dans une action historique dâensemble. Elles font Ãchec à toute
pensÃe unique et dominante, mais elles ne sont pas une contre-pensÃe unique
- elles inventent leur jeu et leurs propres rÃgles du jeu.

Les singularitÃs ne sont pas forcÃment violentes, et il en est de subtiles,
comme celle des langues, de lâart, du corps ou de la culture. Mais il en est
de violentes - et le terrorisme en est une. Elle est celle qui venge toutes
les cultures singuliÃres qui ont payà de leur disparition lâinstauration de
cette seule puissance mondiale.

Il ne sâagit donc pas dâun  choc de civilisations Â, mais dâun
affrontement, presque anthropologique, entre une culture universelle
indiffÃrenciÃe et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde
quelque chose dâune altÃrità irrÃductible.

Pour la puissance mondiale, tout aussi intÃgriste que lâorthodoxie
religieuse, toutes les formes diffÃrentes et singuliÃres sont des hÃrÃsies.
A ce titre, elles sont vouÃes soit à rentrer de grà ou de force dans lâordre
mondial, soit à disparaÃtre. La mission de lâOccident (ou plutÃt de
lâex-Occident, puisquâil nâa plus depuis longtemps de valeurs propres) est
de soumettre par tous les moyens les multiples cultures à la loi fÃroce de
lâÃquivalence. Une culture qui a perdu ses valeurs ne peut que se venger sur
celles des autres. MÃme les guerres - ainsi celle dâAfghanistan - visent
dâabord, au-delà des stratÃgies politiques ou Ãconomiques, à normaliser la
sauvagerie, Ã frapper dâalignement tous les territoires. Lâobjectif est de
rÃduire toute zone rÃfractaire, de coloniser et de domestiquer tous les
espaces sauvages, que ce soit dans lâespace gÃographique ou dans lâunivers
mental.

La mise en place du systÃme mondial est le rÃsultat dâune jalousie fÃroce :
celle dâune culture indiffÃrente et de basse dÃfinition envers les cultures
de haute dÃfinition - celle des systÃmes dÃsenchantÃs, dÃsintensifiÃs,
envers les cultures de haute intensità -, celle des sociÃtÃs dÃsacralisÃes
envers les cultures ou les formes sacrificielles.

Pour un tel systÃme, toute forme rÃfractaire est virtuellement terroriste
(1). Ainsi encore lâAfghanistan. Que, sur un territoire, toutes les licences
et libertÃs  dÃmocratiques  - la musique, la tÃlÃvision ou mÃme le visage
des femmes - puissent Ãtre interdites, quâun pays puisse prendre le
contrepied total de ce que nous appelons civilisation - quel que soit le
principe religieux qui soit invoquÃ, cela est insupportable au reste du
monde  libre Â. Il nâest pas question que la modernità puisse Ãtre reniÃe
dans sa prÃtention universelle. Quâelle nâapparaisse pas comme lâÃvidence du
Bien et lâidÃal naturel de lâespÃce, que soit mise en doute lâuniversalitÃ
de nos moeurs et de nos valeurs, fÃt-ce pour certains esprits immÃdiatement
caractÃrisÃs comme fanatiques, cela est criminel au regard de la pensÃe
unique et de lâhorizon consensuel de lâOccident.

Cet affrontement ne peut Ãtre compris quâà la lumiÃre de lâobligation
symbolique. Pour comprendre la haine du reste du monde envers lâOccident, il
faut renverser toutes les perspectives. Ce nâest pas la haine de ceux à qui
on a tout pris et auxquels on nâa rien rendu, câest celle de ceux à qui on a
tout donnà sans quâils puissent le rendre. Ce nâest donc pas la haine de la
dÃpossession et de lâexploitation, câest celle de lâhumiliation. Et câest à 
celle-ci que rÃpond le terrorisme du 11 septembre : humiliation contre 
humiliation.

Le pire pour la puissance mondiale nâest pas dâÃtre agressÃe ou dÃtruite, 
câest dâÃtre humiliÃe. Et elle a Ãtà humiliÃe par le 11 septembre, parce que 
les terroristes lui ont infligà là quelque chose quâelle ne peut pas rendre. 
Toutes les reprÃsailles ne sont quâun appareil de rÃtorsion physique, alors 
quâelle a Ãtà dÃfaite symboliquement. La guerre rÃpond à lâagression, mais 
pas au dÃfi. Le dÃfi ne peut Ãtre relevà quâen humiliant lâautre en retour 
(mais certainement pas en lâÃcrasant sous les bombes ni en lâenfermant comme 
un chien à GuantÃnamo).

La base de toute domination, câest lâabsence de contrepartie - toujours 
selon la rÃgle fondamentale. Le don unilatÃral est un acte de pouvoir. Et 
lâempire du Bien, la violence du Bien, câest justement de donner sans 
contrepartie possible. Câest occuper la position de Dieu. Ou du MaÃtre, qui 
laisse la vie sauve à lâesclave, en Ãchange de son travail (mais le travail 
nâest pas une contrepartie symbolique, la seule rÃponse est donc finalement 
la rÃvolte et la mort). Encore Dieu laissait-il place au sacrifice. Dans 
lâordre traditionnel, il y a toujours la possibilità de rendre, à Dieu, à la 
nature, ou à quelque instance que ce soit, sous la forme du sacrifice. Câest 
ce qui assure lâÃquilibre symbolique des Ãtres et des choses. Aujourdâhui, 
nous nâavons plus personne à qui rendre, à qui restituer la dette symbolique 
- et câest cela la malÃdiction de notre culture. Ce nâest pas que le don y 
soit impossible, câest que le contre-don y soit impossible, puisque toutes 
les voies sacrificielles ont Ãtà neutralisÃes et dÃsamorcÃes (il ne reste 
plus quâune parodie de sacrifice, visible dans toutes les formes actuelles 
de la victimalitÃ).

Nous sommes ainsi dans la situation implacable de recevoir, toujours 
recevoir, non plus de Dieu ou de la nature, mais de par un dispositif 
technique dâÃchange gÃnÃralisà et de gratification gÃnÃrale. Tout nous est 
virtuellement donnÃ, et nous avons droit à tout, de grà ou de force. Nous 
sommes dans la situation dâesclaves à qui on a laissà la vie, et qui sont 
liÃs par une dette insoluble. Tout cela peut fonctionner longtemps grÃce à 
lâinscription dans lâÃchange et dans lâordre Ãconomique, mais, à un moment 
donnÃ, la rÃgle fondamentale lâemporte, et à ce transfert positif rÃpond 
inÃvitablement un contre-transfert nÃgatif, une abrÃaction violente à cette 
vie captive, Ã cette existence protÃgÃe, Ã cette saturation de lâexistence. 
Cette rÃversion prend la forme soit dâune violence ouverte (le terrorisme en 
fait partie), soit du dÃni impuissant, caractÃristique de notre modernitÃ, 
de la haine de soi et du remords, toutes passions nÃgatives qui sont la 
forme dÃgradÃe du contre-don impossible.

Ce que nous dÃtestons en nous, lâobscur objet de notre ressentiment, câest 
cet excÃs de rÃalitÃ, cet excÃs de puissance et de confort, cette 
disponibilità universelle, cet accomplissement dÃfinitif - le destin que 
rÃserve au fond le Grand Inquisiteur aux masses domestiquÃes chez 
DostoÃevski. Or, câest exactement ce que rÃprouvent les terroristes dans 
notre culture - dâoà lâÃcho que trouve le terrorisme et la fascination quâil 
exerce.

    Tout autant que sur le dÃsespoir des humiliÃs et des offensÃs, le 
terrorisme repose ainsi sur le dÃsespoir invisible des privilÃgiÃs de la 
mondialisation, sur notre propre soumission à une technologie intÃgrale, à 
une rÃalità virtuelle Ãcrasante, à une emprise des rÃseaux et des programmes 
qui dessine peut-Ãtre le profil involutif de lâespÃce entiÃre, de lâespÃce 
humaine devenue  mondiale  (la suprÃmatie de lâespÃce humaine sur le reste 
de la planÃte nâest-elle pas à lâimage de celle de lâOccident sur le reste 
du monde ?). Et ce dÃsespoir invisible - le nÃtre - est sans appel, 
puisquâil procÃde de la rÃalisation de tous les dÃsirs.

Si le terrorisme procÃde ainsi de cet excÃs de rÃalità et de son Ãchange 
impossible, de cette profusion sans contrepartie et de cette rÃsolution 
forcÃe des conflits, alors lâillusion de lâextirper comme un mal objectif 
est totale, puisque, tel quâil est, dans son absurdità et son non-sens, il 
est le verdict et la condamnation que cette sociÃtà porte sur elle-mÃme.

Jean Baudrillard.

IdÃes, Mondialisation

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Jean Baudrillard

Courrier :
- Violence de la mondialisation

(1) On peut mÃme avancer que les catastrophes naturelles sont une forme de 
terrorisme. Les accidents techniques majeurs, tel celui de Tchernobyl, 
tiennent eux aussi à la fois de lâacte terroriste et de la catastrophe 
naturelle. Lâempoisonnement au gaz toxique de Bhopal aux Indes - accident 
technique - aurait pu Ãtre un acte terroriste. Nâimporte quel krach aÃrien 
accidentel peut Ãtre revendiquà par un groupe terroriste. La caractÃristique 
des ÃvÃnements irrationnels est de pouvoir Ãtre imputÃs à nâimporte qui ou à 
nâimporte quoi. A la limite, tout pour lâimagination peut Ãtre dâorigine 
criminelle, mÃme une vague de froid ou un tremblement de terre - ce nâest 
pas nouveau dâailleurs : lors de celui de Tokyo en 1923, on vit massacrer 
des milliers de CorÃens tenus pour responsables du sÃisme. Dans un systÃme 
aussi intÃgrà que le nÃtre, tout a le mÃme effet de dÃstabilisation. Tout 
concourt à la dÃfaillance dâun systÃme qui se voudrait infaillible. Et, au 
regard de ce que nous subissons dÃjà dans le cadre de son emprise 
rationnelle et programmatique, on peut se demander si la pire catastrophe ne 
serait pas lâinfaillibilità du systÃme lui-mÃme.


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That's all folk;-)





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